PAR QUENTIN PARISIS
Marc Dos Santos, l’entraîneur québécois des Whitecaps de Vancouver, a accepté de revenir sur l’identité d’un club peu connu dans nos contrées, sur ses ambitions, mais aussi les carences qu’il lui faut encore combler.
Pour sa première expérience en tant qu’entraineur principal en MLS, Marc Dos Santos n’a pas choisi la facilité. À son arrivée en novembre 2018 sur le banc de Vancouver, les chantiers sont multiples et l’effectif à reconstruire de fond en comble. Une situation qui semble stimuler le Montréalais de naissance et sur laquelle il s’est penché pendant plus de 30 minutes, quelques heures seulement avant la finale de la Ligue des champions, qui verra l’enfant du club, Alphonso Davies, devenir le premier international canadien à remporter le prestigieux trophée avec le Bayern de Munich.
Quel projet vous a-t-on présenté à votre arrivée au club en novembre 2018?
Les choses ont été très claires. C’était un contrat de 3 ans avec l’objectif de construire le club. Il fallait développer les joueurs qui sortent de l’académie, en développant le foot et les joueurs canadiens, qui ne sont pas tous titulaires ou appelés en équipe nationale. Vancouver est un club fier des opportunités qu’il donne aux joueurs canadiens, même si c’est très difficile pour rester compétitif dans une ligue de plus en plus forte, avec de plus en plus de joueurs étrangers. C’est un travail de moyen-long terme que le club m’a présenté. L’an passé, ce fut difficile. 18 joueurs ont quitté le club, mais nous avons battu plusieurs records, dont celui du plus grand nombre de joueurs canadiens titularisés dans un match. Nous avons gagné au Galaxy avec sept Canadiens. Contre Toronto, lors de la reprise du championnat régulier en août dernier, nous avons eu huit Canadiens durant le match.
Cette volonté se poursuit d’ailleurs cette année…
Thomas Hasal, a été lancé à 21 ans dans les buts, Patrick Metcalfe, Theo Bair… Ce sont tous des joueurs issus de l’académie. Ce n’est pas facile, mais ça demeure selon moi l’unique façon de développer le soccer dans ton pays. Nos joueurs vont devenir de plus en plus compétitifs en ayant cette expérience. Je reste focalisé sur ce que j’ai à faire, sur les objectifs et le projet global.
Finalement, plus que reconstruire, il s’agissait de maximiser l’académie et les structures déjà en place?
Les dirigeants ont énormément investi dans l’académie – cela a toujours été le cas à Vancouver – et cela ne fait aucun sens si tu n’utilises pas ces ressources. C’était un aspect très important dans nos discussions avec les propriétaires.
Comment se déroulent vos rapports avec Craig Darlymple, le directeur de l’académie de Vancouver?
Nos rapports sont étroits. Nous parlons beaucoup. Nos bureaux sont voisins, sur le même étage. On a aussi un contact direct avec les entraîneurs de l’académie. Un de mes adjoints, Vanni Sartini, a été instructeur pour la licence pro UEFA à Coverciano, en Italie, et à la USSS aux États-Unis. Il a un grand rôle de formateur auprès de nos entraîneurs de l’académie. La relation doit être étroite si tu veux développer quelque chose.
Comment cela se concrétise au quotidien?
Je vois les matchs des jeunes quand mon agenda le permet. J’en vois beaucoup, mais nous avons aussi un entraîneur dans notre équipe de développement, Nick Dasovic, avec lequel je parle tous les jours. Il a le droit de rentrer dans toutes les réunions de l’équipe première pour savoir précisément ce qu’il s’y passe. Au Canada, nous n’avons que des histoires isolées de joueurs qui ont eu une grande réussite. Nous n’avons pas un grand historique de formation d’immenses joueurs comme à Benfica ou à l’Ajax d’Amsterdam. Ce n’est pas facile, mais c’est ce que l’on veut pour notre club.
Cette volonté d’intégrer les jeunes a aussi un impact sur votre recrutement ou votre gestion d’effectif. Comment offrir du temps de jeu à un jeune qui joue à un poste occupé par un joueur expérimenté?
On doit l’intégrer par étape. Souvent, quand il y a un match le samedi, un match de coupe le mercredi et un match le samedi suivant, on voit l’entraineur faire une rotation le mercredi. Le problème, c’est que, souvent, les jeunes n’ont pas de succès. C’est une erreur selon moi. Tu dois intégrer tes jeunes joueurs avec tes meilleurs joueurs. C’est ce que l’on a fait avec Patrick Metcalfe. Il a d’abord joué 15 minutes, puis est rentré 10 minutes, puis encore 15 minutes, avant d’être titulaire. Ça ne veut pas dire qu’il sera titulaire, mais il doit prendre toutes ces minutes, étape par étape. C’est comme ça qu’il va grandir. Le fonctionnement a été le même pour Theo Bair. Ce sont des joueurs qui n’étaient pas vraiment considérés pour l’équipe olympique du Canada, comme Thomas Hasal, mais ils commencent à l’être. Il faut leur donner des opportunités de faire leurs preuves. Après, le faire en MLS, c’est difficile, car tu fais face à des équipes qui disposent de très bons joueurs, d’internationaux. Contre Toronto, nous avions Leonard Owusu, tout juste 23 ans, Patrick Metcalfe, 21 ans et Russell Taibert, qui n’est pas systématiquement appelé en équipe nationale. En face, nous avions Michael Bradley, qui a fait des coupes du monde, Jonathan Osorio, titulaire important en équipe du Canada et Delgado, international américain. Mettre tes jeunes canadiens dans un tel contexte, c’est la seule façon de les faire grandir.
Votre parcours dans les divisions inférieures, dans les équipes réserves ou en tant qu’adjoint, c’est finalement ce qui a fait de vous le candidat idéal pour les propriétaires, dans cette optique de développement?
Ils avaient l’idée de ce profil d’entraîneur, c’est clair. Il fallait aussi comprendre la réalité du club et ses investissements. Tu dois avoir le courage de le faire et ne pas avoir peur de donner des opportunités au plus haut niveau aux jeunes canadiens. Si tu continues de penser qu’il est possible de faire du développement avec la Ligue élite ou les ligues inférieures et ensuite aller jouer au Mexique pour y gagner, tu rêves. Il faut que les adversaires soient les meilleurs possible, et au Canada, c’est en MLS.
Il faut aussi obtenir des résultats en MLS. C’est la loi du haut niveau. Combien de temps faut-il pour faire parvenir une génération de joueurs à maturité?
Notre vision, c’est qu’il faut deux ans, et qu’à la troisième saison, on peut être dans une position de gagner plus. Mais même là… gagner plus, ça veut dire quoi? On est l’équipe la plus jeune, la plus canadienne et l’une de celles qui offrent le plus d’opportunités aux jeunes de l’académie. Tout ça, c’est difficile à réaliser. Obtenir en plus des résultats, c’est encore plus difficile et cela demande du temps. Il faut aussi lier ces jeunes joueurs à plus de qualité, et ça nécessite donc un travail de recrutement bien fait, en parallèle. On est sur le bon chemin par rapport à ça. Il faut rappeler que notre conférence n’est pas simple. Il y a des équipes formidables : le LAFC qui a remporté le Supporter’s Shield, Portland qui a remporté le tournoi MLS is Back, Seattle Sounders, vainqueurs de la MLS l’an passé, le Galaxy, qui a une grande histoire de champion, Kansas City… Vancouver doit grandir pour lutter contre ces équipes.
Comme Montréal, Vancouver ne dispose plus d’équipe réserve. Un accord avec Fresno, en USL, n’a pas fait long feu non plus. Cette absence de réserve est-elle une difficulté à surmonter pour parvenir à votre objectif de formation?
Quand je suis arrivé, il n’y avait plus de deuxième équipe. C’est une décision qui n’est pas la mienne. L’accord à Fresno a très mal fonctionné. D’abord parce que Fresno, c’est loin, et qu’il était difficile de rappeler des joueurs, et ensuite car le coach de Fresno avait des objectifs de résultats – c’est normal – plus que de formation pour les Whitecaps. Quand tu n’as pas de deuxième équipe, il n’y aucun doute sur le fait que tu as un trou dans le club. J’ai travaillé avec Peter Vermes à Kansas City, (NDLR, Marc Dos Santos a été entraineur de l’équipe réserve en 2016) et il y avait un pont direct entre la première et la deuxième équipe. Ce pont est important. Prenons l’exemple de Thomas Hasal. Il a 21 ans et personne ne le connaissait. Maxime Crépeau s’est blessé en même temps que le décès de la mère de notre deuxième gardien, Bryan Meredith, qui est donc parti rejoindre sa famille. En 24h, Hasal passe de numéro 3 à numéro 1, et dans ses deux premiers matchs, il explose, montre beaucoup de choses, est nominé parmi les meilleurs gardiens du tournoi MLS is Back. Aujourd’hui, on parle de lui. Il a eu une opportunité grâce à un concours de circonstances, mais il aurait pu ne pas en avoir. On comprend donc l’importance de la deuxième équipe, pour permettre à ses joueurs de se montrer. Pour le moment, pour des raisons financières ou de distance, on n’a pas l’opportunité d’en avoir. C’est cependant une chose que l’on est en train d’évaluer très, très sérieusement dans notre club. Il va aussi y avoir désormais les équipes U23 dans la MLS, et cela va aider selon moi.
Beaucoup de jeunes issus de votre académie évoluent en Canadian Premier League. Est-ce pour vous une étape intermédiaire à leur offrir avant un éventuel retour ou une voie pour ceux qui n’auraient pas leur place aux Whitecaps?
On n’est ni le Barça, ni l’Ajax, où l’immense majorité des joueurs peuvent atteindre l’équipe première ou être vendus. La réalité, c’est qu’on va aussi développer beaucoup de joueurs qui ne seront pas au niveau de la MLS. Cependant, beaucoup de joueurs sont ou vont être des joueurs importants en CPL et nous voulons continuer à être un club formateur de premier plan au Canada, à être une référence dans ce domaine dans le pays. Notre orientation, en tant que club, est d’avoir une grande préoccupation pour le développement des joueurs canadiens, afin d’aider le pays à devenir le plus compétitif possible. Un de nos joueurs désignés, Lucas Cavallini, est Canadien, notre choix au repêchage, Ryan Raposo, l’est aussi, l’arrière gauche Cristian Gutierrez jouait au Chili et nous l’avons transféré ici… On veut pouvoir dire que nous avons eu un rôle important quand le Canada arrivera en Coupe du monde.
Dans l’effort de structuration du club, un directeur sportif passé par Mayence et Schalke 04, en Allemagne, Axel Schuster, a été nommé en novembre 2019, un an après votre arrivée. En général, c’est plutôt l’inverse et le directeur sportif nomme son entraîneur. Comment avez-vous appréhendé cette situation?
C’était particulier, car j’ai fait partie du processus de reconstruction, de sélection, avec des discussions avec les propriétaires. Normalement, ça n’arrive jamais. Cependant, quand je suis arrivé, j’avais aussi à faire un état des lieux du club. Nous n’avions pas de département de recrutement. Tout appartenait à l’entraîneur et il y avait des trous dans l’organigramme du club. On a ciblé les besoins, et j’ai indiqué clairement qu’il fallait un directeur sportif pour faire le lien entre le terrain et les bureaux, pour permettre à l’entraîneur de faire son travail sur le terrain, et pour mettre en place un département de recrutement, qui est une partie cruciale d’un club. Arrivé à la dernière étape, quand il a fallu choisir parmi trois candidats, j’ai fait partie du processus d’entrevue. C’était nouveau pour moi de choisir la personne qui était au-dessus de moi et avec laquelle j’allais travailler, mais j’ai toujours gardé à l’esprit de choisir ce qui était la meilleure solution pour le club.
Quelles ont été les mesures mises en place par la suite?
Nous avons des scouts sur certains projets, mais nous avons l’intention d’engager un responsable des scouts, pour aider à réaliser le meilleur recrutement possible. Axel Schuster avait entamé le processus d’entrevues, mais la pandémie a mis tout ça sur pause. La fermeture des frontières ne permettait plus d’aller voir des joueurs par exemple. On continue néanmoins de planifier tout ça.
Vous avez constitué un staff avec des personnes proches, comme Philipp, votre frère, ou Youssef Daha, un entraîneur de gardien que vous connaissiez bien. Est-ce que cette liberté était un prérequis à votre arrivée?
Il faut toujours s’appuyer sur des gens à qui tu fais confiance, dont tu sais ce qu’elles vont t’apporter, en termes d’éthique et de rythme de travail. Chaque adjoint à un rôle spécifique et il connait parfaitement son travail. Youssef Daha a travaillé avec moi à l’Attak de Trois-Rivières, à l’Impact de Montréal. Il a fait ses preuves et ses qualités lui ont permis de faire un travail exceptionnel. Gregg Sutton a été le meilleur gardien de la Ligue, Matt Jordan a été nommé gardien de l’année, Maxime Crépeau a été gardien de l’année en USL avec Ottawa, le meilleur Evan Bush à Montréal, selon moi, a été celui qui a travaillé avec Youssef Daha. Philipp n’est pas non plus avec moi parce qu’il est mon frère, mais parce qu’il est un des meilleurs dans son travail. Vanni Sartini allait aussi amener ses compétences de formateur au club, qui étaient nécessaires en raison de notre stratégie envers l’académie. On est tous différents, mais on aime travailler ensemble et chacun sait ce qu’il a à faire.
Vous êtes souvent présenté un motivateur hors pair, un meneur d’hommes. Êtes-vous satisfait de cette image ou préféreriez-vous que l’on mette en avant des caractéristiques tactiques ou techniques?
Je me moque de la façon dont on me perçoit et je m’inquiète peu de l’extérieur. Je donne mon maximum sur tous les points. Tu ne dois pas vivre avec la préoccupation de recevoir la validation des gens que tu ne connais pas, mais celle de tes joueurs, du club, de ta famille. Je ne suis jamais trop excité quand je gagne et tout en bas quand je ne gagne pas. J’ai gagné des trophées, mais je connais aussi les mauvais résultats. J’encourage tout le monde dans la vie à ne pas se préoccuper des likes et des avis ou de la façon dont on te voit.
Que peut-on vous souhaiter pour cette saison?
On doit se souhaiter la stabilité dans le monde, car on ne sait rien de ce qu’il va se passer. Il y a beaucoup de doutes. On se souhaite que les choses reviennent à la normale, dans le foot et dans le monde.