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Arrivé fin janvier dans ses fonctions de président de l’Impact de Montréal, Kevin Gilmore a immédiatement incarné un style direct, ambitieux,doté d’un certain sens politique, mais sans langue de bois. Ilreconnaît que le travail ne manque pas pour comprendre, digérer, analyser la situation et prendre la mesure du club. Des employés administratifs à l’équipe première, il a fait le tour des employés pour y parvenir et, à terme,remplir sa mission : mener le club au sommet, sur le terrain et en dehors.
Comment se sont passées ces premières semaines dans le siège de président ?
Je voulais communiquer avec l’ensemble des employés, en groupe et individuellement. Je souhaite que les gens changent leur perception de ce que nous sommes et de ce que nous faisons. La qualité augmente sur le terrain, mais en dehors, l’Impact n’a pas assez évolué. J’ai l’impression que les gens n’on tpas fait la transition d’une équipe venue d’un plus bas niveau à une équipe de MLS. D’autant que la ligue a changé ces cinq dernières années.
Cette équipe hors du terrain est-elle suffisante en ce moment ? Quelles sont ses priorités ?
On ajoute déjà des gens, on fait des recherches pour des embauches et on a identifié des postes à remplir. Le marketing est la priorité. Tant le marketing « traditionnel » que le numérique. Notre rôle est de partager l’expérience, partager la vision, raconter l’histoire de l’Impact, celle des joueurs, de l’entraîneur, des partisans… Ces histoires ne font pas partie du livre présentement, ou pas assez. Il y a eu la Ligue des champions, Drogba, mais on a l’impression que même si ces moments ont été bien partagés, ils ne sont pas suffisamment restés…. J’ai toujours respecté les matchs, l’entraînement, la préparation, la récupération et les familles, mais j’ai vu Rémi Garde et les joueurs, et je leur ai dit que j’allais leur en demander plus pour faire rayonner notre marque et la leur.
Quelles sont les prochaines étapes de la construction de cette nouvelle culture d’entreprise ?
Comme pour un athlète blessé, il faut prendre le temps de le ramener au niveau où il doit être. On doit ramener l’organisation à un niveau de professionnalisme, de dévouement et de confiance qui n’existe pas présentement, ou trop peu. Au lieu d’attendre que le public ou les commanditaires viennent nous voir, on doit foncer, leur démontrer pourquoi un partenariat ou un billet est important. C’est un processus.
Un sportif blessé a déjà été au niveau auquel il veut revenir. Est-ce que l’équipe administrative en place ales repères nécessaires?
Tous les gens ici ont été à leur plus haut niveau, que ce soit dans d’autres emplois ou à l’école. On peut aussi regarder et se comparer aux autres équipes. Dans le domaine du sport, j’aime copier. C’est même l’une des choses les plus importantes dans le sport. On va commencer par là, mais à terme, on veut aussi se faire copier. Il faut être un leader, un innovateur.
À ce stade, quel modèle en MLS comptez-vous suivre ?
Tout le monde cite Portland ou Kansas City, des petits marchés où l’équipe s’est démarquée, mais on n’est pas dans un petit marché. Montréal, c’est l’un des dix premiers marchés sportifs en Amérique du Nord. L’équipe à laquelle je me compare, c’est le LAFC. Elle a commencé l’an passé dans un très grand marché où il y avait déjà une équipe de MLS, des équipes de NBA, de base-ball, de hockey, de basket collégial, de football collégial.En plus, il y a la plage et on peut faire du ski à deux heures de trajet. Pourtant, le LAFC a pris sa place, le stade a été plein à craquer dès la première année. Dans les cinq ligues majeures, Montréal est la ville avec la plus haute population par club. Il y a beaucoup de place.
Alors, comment comptez-vous sortir de l’ombre du Canadien ?
Il faut prendre notre place et être bruyant. On prend pour acquis qu’il ne peut y avoir qu’un club dans le cœur des gens, qu’un détenteur de billet du Canadien ne peut pas venir à l’Impact, qu’il y a 3,5 millions de partisans du Canadien. C’est faux. Il y a 1,3 million de personnes qui regardent le soccer :si 1% de ces gens achètent un abonnement, on en est à 13 000.
Comment allez-vous leur faire comprendre que l’expérience au stade Saputo est unique, si on la compare aux autres sports mais aussi au soccer à la télévision ?
Lors de la dernière Coupe MLS, TVA Sports a pris le temps de rendre compte de l’atmosphère dans le stade. On va faire plus ça ici, on ne le voit pas assez. Il faut aussi partager l’expérience de façon plus agressive sur les réseaux sociaux. On a un autre problème : la perception du soccer. Souvent, l’expérience du soccer ici, c’est un match d’enfants, le samedi à 13h. Mais un match de soccer, ce n’est pas ça.
Il faut aussi trouver le moyen de faire parler les gens de l’Impact hors du stade, mais à la machine à café…
Oui… Au lancement de la saison, Piatti a passé 45 minutes à signer des autographes. Il a fallu que j’aille le chercher pour la photo de groupe, mais il a continué. Ça, ce sont des moments de partage, de vécu. Il faut maintenant que ce partage soit avec le plus grand nombre. Ce que veulent les gens, ce n’est pas des idoles mais se reconnaître dans les joueurs.
Vous l’avez remarqué avec les grandes vedettes des autres sports dans lesquels vous avez travaillé ?
Ce qui rapproche de ces idoles extrêmement douées, c’est qu’à la fin de la journée, ce sont des gens normaux. C’est une connexion émotive, ça résonne dans le cœur de gens, chez tous les fans de sport, pas seulement de l’Impact.
À votre arrivée, l’Impact a annoncé un partenariat avec Bold. Quelle est cette entreprise et quelle sera sa plus-value pour le club?
J’ai rencontré son fondateur Benoît Fredette quand je travaillais avec le Canadien. Après mon départ, je l’ai aidé sur plusieurs dossiers puis il m’a approché il y a 4 à 6 mois pour faire l’acquisition de ma compagnie. Quand la proposition avec l’Impact s’est présentée, on en a parlé et on va mener des projets ensemble. J’ai procédé à la vente de mon entreprise à Benoît et je demeure un partenaire de Bold. Les aspects technologiques et événementiels sont dans le créneau de Bold. L’idée, c’est de travailler ensemble dans les prochaines années.
Les deux modèles coexistent en MLS, lequel privilégiez-vous ?
Le modèle avec un DG et un directeur sportif, car je le connais, mais je ne suis pas fermé, je suis prêt à m’informer, à observer et à en parler au propriétaire, et même à mon coach et à l’équipe hors du terrain. Il y a aussi la relation avec Bologne à prendre en compte. On veut travailler plus avec eux en regardant les autres exemples de synergies en MLS. Comment structurer le tout, ça fait partie de l’analyse à mener.
Il y a aussi les supporters qui sont déjà là et aimeraient une meilleure ambiance, plus proche de ce qu’on voit par exemple au LAFC, que vous citez en modèle.
On doit travailler pour savoir si leur expérience est celle qu’ils recherchent. On communique davantage avec eux, avec les plus fervents, ceux qui sont debout, car c’est unique au soccer. Je les encourage. Plus il y a de monde dans ces tribunes, plus ça fait mon affaire !
(rires)
Vous voulez attirer plus de monde, développer le marché corporatif et le stade Saputo recule dans la hiérarchie de la MLS. Quel est son avenir ?
Le stade a beaucoup d’aspects désuets et n’est pas au niveau où il doit être. On a besoin d’une offre VIP plus élaborée. On voudrait aussi créer un lieu de rassemblement, de conférences, d’autant qu’il y a un gros besoin dans l’est de la ville. Ce serait positif pour le club et l’arrondissement. Avoir des clients VIP qui viennent au stade avec l’objectif d’y faire des affaires et des rencontres professionnelles est aussi un objectif à viser. On pourrait encore faire de petites améliorations, mais pour amener le stade au niveau requis, de grosses rénovations sont nécessaires. Le problème, c’est que pour nous, avec les taxes, ce ne serait pas rentable. Je suis confiant de trouver une solution.
Vu que vous voulez amener plus de monde au stade, dont le taux de remplissage est bon si on se fie aux affluences officielles, ces travaux permettront-ils de l’agrandir ?
On ne veut pas augmenter la capacité du stade, mais développer les offres. Si ça doit se faire dans les deux-trois prochaines années et qu’entre temps, on voit vraiment une croissance de la demande, on y songera peut-être, mais présentement, non.
Pouvez-vous nous confirmer la situation contractuelle de Rémi Garde ?
Il lui reste cette saison, plus une option du club. C’est le club qui est en position de lever l’option. Il faudra discuter, mais je ne commente jamais le statut de négociation d’un contrat.
Dès lors, Rémi Garde a des objectifs pour un an, voire deux, mais qui est le garant de la politique sportive à long terme ?
Je ne le sais pas encore. La structure ici est nouvelle pour moi dans le sens que j’ai l’habitude, comme c’est le cas dans les sports américains, d’une structure où il y a un directeur général/ directeur sportif et un entraîneur. J’ai toujours compris ces rôles, où le DG voit à long terme et l’entraîneur doit gagner le prochain match. Dans le soccer, le coach peut porter les deux chapeaux. Je vais en discuter avec Joey Saputo pour voir quelle est sa vision. Il faut s’y pencher, absolument.
Juste avant votre arrivée, le secteur sportif a été restructuré et plusieurs embauches ont été effectuées. Qui veille au bon fonctionnement de cette réorganisation ?
Les rôles sont bien définis. Patrick Leduc gère l’aspect administratif de l’équipe première, pour s’assurer que tout ce qui est opérationnel soit de premier ordre. Il faut gérer les voyages, les hôtels, mais aussi le centre d’entraînement, l’Académie et les transitions vers l’équipe première. Vassili Cremanzidis est un atout incroyable. Il est revenu de San José, il connaît la ligue, ses règles et ses spécificités salariales. Il commence à s’insérer dans le contexte du marché international. Il faut que je m’implique de plus en plus dans le business des transferts, à connaître les joueurs, les agents et à discuter avec ces derniers. Il faut qu’on soit une équipe bien informée, pour faire les bons transferts, tant vers nous que vers l’extérieur.
Pour finir, pourriez-vous nous citer trois objectifs : l’un pour cette saison, l’autre pour la fin du plan de cinq ans et le dernier à plus long terme.
Pour la fin de cette saison, je veux une amélioration marquée de nos revenus, tant au niveau des ventes de billets que des commandites. D’ici la fin du plan, donc dans trois ans, une entreprise qui est profitable. Dans cinq ans, et ça peut même être avant, gagner le championnat.
Avez-vous une vision différente de celle de Joey Saputo, ou allez-vous poursuivre les mêmes objectifs avec des méthodes différentes ?
Quand Joey m’a engagé, il savait que je ne faisais pas comme lui. Il n’avait aucun intérêt à prendre quelqu’un comme lui, mais on est arrimé sur plusieurs choses. On veut un club compétitif : le succès ne dépend pas de combien on dépense, mais de comment on dépense. Notre approche est différente, mais le fait d’avoir un propriétaire et un président permet de prendre des décisions stratégiques dans une approche à long terme, et non pas au jour le jour.
Le plan de cinq ans annoncé par Joey Saputo entre dans sa troisième année. Il y a eu un important changement sportif l’an passé, un important changement administratif cette année. Travaillez-vous toujours dans le cadre de ce plan ?
On investit dans la croissance et, désormais, on regarde ça de façon différente. Il y avait une équipe hors du terrain qui avait des défis, mais on n’y attachait pas toujours les ressources nécessaires. L’étude qu’on a faite Deloitte et moi, avec Joey, lui a permis de comprendre que la croissance est là, tant pour la ligue que pour l’équipe, et qu’il faut l’amener à un autre niveau de professionnalisme. Mais la vision sans l’exécution, c’est une hallucination. Ce n’est pas donc une question d’avoir des idées, c’est de bâtir une équipe hors du terrain qui est capable d’exécuter les idées, sinon ça ne devient jamais une réalité. C’est quelque chose qui va changer et je vise toujours un plan de 3 ans.