PAR JEAN GOUNELLE

Parcours compliqué et longues blessures ont forgé un caractère de roc. Le défenseur de l’Impact regarde droit devant avec une furieuse détermination.

Si on revenait d’abord sur le tout début de saison: calendrier compliqué, préparation, matches en déplacement. Ça s’est plutôt bien passé…

 

Plutôt, oui. On a un bon groupe, un super état d’esprit. Les premiers matches à l’extérieur… c’est très difficile. Les gens qui connaissent le foot savent bien que débuter comme ça, c’est très dur. Les changements de température, les voyages, c’est usant. Les gars en face, ils t’attendent, ils sont chez eux, habitués, avec leur public. On s’était bien préparés, mais ce n’est jamais pareil qu’en match, avec la pression de la compétition.

 

Très rapidement, tu as été amené à évoluer avec différents partenaires.

 

Il faut s’adapter. On est quatre défenseurs centraux, quatre différents profils. Je sais à quoi m’attendre avec l’un ou l’autre. Si je joue avec un gars qui a le même profil que moi, qui aime bien sortir le ballon, je vais essayer d’être plus dans le duel. Si c’est un gars qui va au duel, moi je vais essayer d’être plus relanceur.

 

La relation entre les deux…

 

… Elle est essentielle! Entre deux défenseurs centraux et le milieu devant la défense, la sentinelle, c’est la colonne de l’équipe.

 

Et ici, c’est Samuel Piette…

 

Très bon, toujours au service du collectif. Indispensable. C’est le couteau suisse… Il y a plusieurs facettes à son jeu, il court partout, récupère, il donne. Un joueur comme ça tu en redemandes.

 

La fois où vous passez à côté, à Kansas City, tu n’es pas là.

 

Ouais, j’étais suspendu. Bon, je n’étais pas là-bas, je ne l’ai pas vécu comme mes partenaires. Mais j’ai ressenti la même chose, parce qu’on est un vrai groupe. Le lundi, au retour, j’ai tout de suite senti que cette défaite avait fait très mal mentalement. Alors, il fallait repartir, en groupe…

 

On dit qu’ici, c’est athlétique, mais en Ligue 2 il y a beaucoup plus de duels. Par contre, au niveau technique, la MLS c’est une coche au-dessus.

Ça s’est clairement ressenti.

 

Il fallait qu’on se remette tout de suite en question. Chacun de son côté et aussi en groupe. Ensuite, le coach a fait ce qu’il fallait pour remonter le moral, rapidement, et rebondir. Et on a su le faire, c’est pas mal!

 

Ta suspension après Orlando…

 

… c’est un geste que je ne dois pas faire. Voilà! Le gars me provoque tout le match, moi je réagis, c’est la 95e minute… C’est nul vis-à-vis de mes partenaires. J’ai compris…

 

Et tu découvres autre chose comme profil d’attaquants que ce que tu as vécu en Ligue 2 en France.

 

On dit qu’ici, c’est athlétique, mais en Ligue 2 il y a beaucoup plus de duels. Ça rentre plus dedans… Par contre, au niveau technique, la MLS c’est une coche au-dessus.

 

« Au niveau état d’esprit et solidarité, on fait partie des meilleures équipes »

 

Tu as été surpris?

Non. C’est ce à quoi je m’attendais. Des équipes plutôt fortes offensivement… En MLS, tu vois que les systèmes offensifs sont beaucoup plus forts que les systèmes défensifs. Il y a plus de travail mis sur l’offensif.

 

Et là-dedans, l’Impact est…

 

…plus équilibré. Au niveau état d’esprit et solidarité, on fait partie des meilleures équipes. Regarde notre début de saison, le bilan est très bon. J’aimerais voir ce que les autres seraient capables de faire, comme ça, d’entrée. Et ça, ça nous a solidifiés, resserrés. Je nous sens plus forts.

 

« Je me dois d’être un leader »

 

Par rapport à l’an dernier?

 

Plus forts dans notre progression. L’an dernier… Je me blesse… Je suis titulaire lors de la préparation, et je me blesse, trois jours avant le premier match de la saison. Rentré en France pour l’opération, ensuite rééducation. Je suis revenu ici, j’ai repris l’entraînement en août, j’aurais pu rejouer dès septembre, mais je n’étais pas à 100%, surtout au niveau des accélérations. En octobre, pas de séries, alors je suis retourné en France. Là, j’ai fait une grosse préparation, énorme. Obligé, si je veux revenir.

 

Et tu reviens.

 

Je reviens ici au mois de janvier, au top. Déterminé. Prêt à faire une grosse saison, surtout à être titulaire dès le départ, enchaîner sur la saison. Et continuer. C’est la régularité qui est importante.

Si on te dit que tu t’es imposé, que tu es déjà le gars sur qui on se base derrière.

 

Ça me donne encore plus de motivation. Envie de faire encore plus, encore mieux. Je suis défenseur central, je suis assez grand, assez imposant. Je me dois d’être un leader. C’est ce que le coach attend de moi…

 

Tu étais déjà revenu d’une blessure identique.

 

Oui, en 2014. Rupture du tendon d’Achille, au pied gauche, ici c’était le droit. J’étais déjà revenu, sept mois après, complètement au top. J’étais abattu quand je me suis blessé. Mais il faut se relever tout de suite, se remettre la tête à l’endroit. Et travailler, avancer. Là, je connaissais assez bien le processus. Je savais par où j’allais passer. Ça m’a aidé, surtout pour la confiance. Parce que c’est en grande partie dans la tête. Je connais des gars qui ont eu le même genre de blessure et qui ne sont pas revenus, qui ont abandonné. Moi, je ne me pose pas de question… J’avance.

 

Tu sens quelque chose de différent?

 

Ouais… Deux blessures comme ça… Tu te sens plus fort. Quand tu reviens, que tu retrouves ton niveau, c’est une récompense formidable. Là, je me sens bien, je me sens fort. La blessure est arrivée, je venais de signer ici. Quand tu débarques dans un club, tu as envie de prouver, d’être titulaire, tu as hâte à la compétition. Alors, elle est arrivée au pire, pire, pire moment!

 

Tu venais de signer, après avoir résilié ton contrat à Brest. C’était déjà une énorme décision de carrière.

 

En fait, il me restait six mois là-bas. Mais Brest m’a laissé partir, librement. Ça se passait très bien là-bas, avec tout le monde. Et Rémi Garde a directement appelé mon coach, et c’est allé super vite.

 

Qu’est-ce qui t’a convaincu?

 

Le discours du coach, de Rémi Garde. Et aussi la MLS. Le rêve américain… Moi, en tant que Français, l’Amérique et la MLS ça m’attirait. On sait qu’il y a pas mal de stars qui viennent finir leur carrière ici. C’est pas mal connu maintenant. Et puis, c’était une aventure, quelque chose de nouveau, d’incomparable. Ça m’a toujours attiré. C’est vrai que c’est une énorme décision, mais… je ne demande que ça!

 

C’est sans retour.

 

Ouais… sept heures de vol… Sans rire, moi j’aime ça. Aucun souci par rapport à ça. Que ce soit loin, nouveau, moi maintenant je fonce!

 

C’est ton caractère?

 

Complètement.

« Je sors du Centre de formation du Havre, j’ai dix-neuf ans, et je ne joue pas pendant presque trois ans, mais je suis têtu »

 

 

Comme joueur aussi? Tu te définis comment?

 

J’aime pas me définir… Mais je connais mes qualités. Je sais que je suis un défenseur qui aime bien porter le ballon, qui aime bien relancer, ressortir. Je suis un gars qui aime dribbler, prendre des risques. Aller vers l’avant.

 

Montréal, c’était un risque?

 

J’ai plusieurs amis qui étaient déjà venus ici, surtout pour les études. Tout ce que j’avais entendu me plaisait. Alors, non, ce n’était pas un vrai risque. En plus l’environnement, la langue, le coach français, tout ça a joué. Mais, au fond, l’expérience même me plaisait. Même aux États-Unis, même si je ne parle pas trop bien anglais, je serais venu. Mais là, Montréal, encore plus! Dès que j’en ai parlé autour de moi, tout le monde m’a dit: fonce!

 

C’est la suite d’un parcours un peu original. Tu étais encore en National à 22 ans.

 

Presque vingt-trois. Je n’ai pas joué pendant deux ans et demi, trois ans. Je sors du Centre de formation du Havre, j’ai dix-neuf ans. Et je ne joue pas pendant presque trois ans. Je voulais absolument trouver un club pro, je n’avais pas d’agent. Mais je suis têtu! À dix-neuf ans, on m’a dit va en National, va en CFA, ceci-cela, je ne voulais pas!

 

Non?

 

Non, je ne voulais pas. J’étais jeune, j’étais têtu, je voulais aller dans un club pro et voilà. Et puis, à 22 ans, on me propose un essai à Beauvais, en National. Moi, je refuse. À plusieurs reprises! Finalement, j’y vais, je fais l’essai, et ça ne se passe pas très bien. Mais ils ont appelé le recruteur du Havre, Franck Sale, et il leur a dit, prenez-le, c’est un bon joueur, relancez-le! Alors, ils m’ont pris, ça devait être en octobre. Là j’ai fait une grosse préparation, tout seul. Et à partir de janvier, j’étais titulaire. Après deux ans sans avoir joué, j’ai fait six gros mois et j’ai signé pro direct à Charleroi en Belgique.

 

Mais là, ces deux ans? Il se passe quoi?

 

C’est une période de ma vie… J’étais un peu perdu… Je me cherchais, je me posais beaucoup de questions. Mais malgré ça, même là, je savais que j’allais devenir professionnel! Je savais, je savais…

En discutant, on sent que tu t’es tracé une ligne, qui te permet de passer à travers tous les trucs que tu as pu rencontrer…

J’ai jamais compté sur personne. Très tôt je m’en suis rendu compte. Pour avancer dans cette carrière, tu ne peux compter que sur toi-même. Quand j’étais à Dijon, ou ailleurs, j’ai toujours été tout seul. Je me suis débrouillé tout seul, je me suis fait tout seul.

 

Mais on ne se prend pas vite la tête comme ça?

Je me sens un peu différent des autres. Je n’attends rien des gens. Peut-être que j’ai été déçu, à un moment, professionnellement. Et puis, je suis un Noir qui a grandi en France, on sait que ce n’est pas facile… Dans le foot, tu y échappes, ce n’est pas pareil: tu es bon, tu joues. Sur le terrain, je pense à mes frères, mes soeurs, ma mère… ceux qui ont toujours été là pour moi. Ce sont eux qui me donnent la force. Tout ce que j’ai fait, c’est grâce à eux, derrière moi. Sans la famille, je pense que je ne serais plus dans le foot depuis longtemps… Ma mère a toujours été là, toujours été avec moi pour que je sois pro. Alors, j’ai rien lâché pour elle!

Même sans jouer, tu as continué?

 

Ouais, j’ai continué et ensuite ça a été très vite. Charleroi, ensuite Dijon et c’est là que ma carrière décolle. Dijon, Ajaccio, Brest… et maintenant Montréal.

 

Tout ça à partir de ta formation au Havre.

Ça allait plutôt bien… Ce n’est pas sportivement qu’ils ne m’ont pas gardé. C’est par rapport à des erreurs que j’ai faites, des erreurs de jeunesse. Mais je ne veux plus trop en parler. Sportivement, ça se passait très bien, j’étais un espoir du club. Mais quand t’es jeune, t’es mal entouré, t’es pas prêt à plein de choses, tu fais des erreurs, que tu regrettes…

 

Tu étais mal encadré?

Déjà, j’étais têtu quand j’étais jeune, et je n’ai pas été très bien encadré, c’est vrai. Mais aujourd’hui, ça me sert, pour tout. Je sais les erreurs que j’ai fait et aujourd’hui, je regarde tout ça et je m’en sors plutôt pas mal… J’aurais peut-être pu faire mieux.

 

Il y avait une grosse concurrence au Havre, qui est reconnu comme l’un des meilleurs Centres?

C’est un très grand Centre de formation. À l’époque, il y avait Steve Mandanda, Lassana Diarra, Guillaume Hoarau… Et encore d’autres de très bon niveau, il y a plein de gars de classe internationale qui sont passés au Havre. Il y en a aussi de très, très bons qui ne sont pas arrivés.

 

Toi, malgré les galères, tu y es arrivé. Il y a eu un déclic?

Oui, quand je signe à Dijon. Premier contrat pro, en France, c’est le déclic. Au niveau professionnel, tout a commencé là. J’avais 24 ans. C’est là que je me suis dit: tu as pris du retard, maintenant fonce.

« Ma mère a toujours été là, toujours été avec moi pour que je sois pro »

 

Tu avais même envisagé la sélection nationale?

Oui, avec le Sénégal. Je suis d’origines sénégalaises. Ça a toujours été dans un coin de ma tête. C’était important. Je suis né en France, mes frères et soeurs aussi, mes parents sont en France, mais le reste de la famille est au Sénégal. Ma grand-mère – la mère de ma mère – ses frères et soeurs sont tous là-bas. J’y vais souvent en vacances. Alors, la sélection c’était un rêve. Mais, bon, j’ai joué surtout en Ligue 2 et le Sénégal c’est l’un des top en Afrique, que des joueurs de très haut niveau…

 

La famille, ça ne te manque pas trop?

Là, c’est plus loin, c’est sûr. Mais quand j’étais en France, à Ajaccio, à Dijon, c’était un peu pareil. Maintenant, on a tout pour se joindre tout le temps. Et puis, mon épouse, mes enfants sont ici, avec moi. Et puis mes frères et soeurs là-bas, ils me soutiennent, me supportent. Même si j’allais en Chine, ils seraient derrière moi à me dire « vas-y !».