PAR QUENTIN PARISIS

Victor Wanyama est arrivé à Montréal en tant que Joueur désigné pour apporter de l’impact physique au milieu du terrain, tant dans la récupération du ballon en phase défensive que dans la projection vers l’avant en phase offensive. Au-delà de ces qualités sportives, l’Impact de Montréal récupère aussi une personne au parcours et à la progression linéaires, marquées par de grandes réussites, une gestion de carrière exemplaire, mais aussi par quelques blessures.

Rendez-vous est pris avec Victor Wanyama à 14h sur FaceTime, confinement et distanciation physique étant toujours les mots d’ordre dans la grande région de Montréal. Malgré son arrivée quelques jours seulement avant l’arrêt des compétitions, des entraînements et de la vie sociale, le joueur âgé de 28 ans se montre souriant, heureux d’être au Québec, et disponible, à l’heure de retracer le chemin d’une carrière débuté au Kenya, avec un crochet par la Suède, puis la Belgique, l’Écosse, l’Angleterre et enfin le Canada.

Comment s’est déroulé ton départ du Kenya ?

J’avais autour de 13 ans la première fois que je suis allé l’Europe, pour y rejoindre mon frère (MacDonald Mariga, NDLR) en Suède, à Helsingborg. Le club a aimé ma façon de jouer et j’ai intégré les moins de 15 ans. Je suis resté une année. Mon frère est ensuite parti pour l’Italie, mais ce n’était pas possible de le suivre. Je suis donc reparti dans mon pays. On y est resté pendant environ deux ans avant que je parte en Belgique.

Comment as-tu continué ta formation au Kenya?

J’ai intégré la JMJ Academy. Il y avait là-bas une personne qui s’appelait Jean-Marie Abeels, et qui avait des contacts en Belgique. J’ai été invité là-bas par des clubs. Je me suis d’abord entraîné avec Anderlecht, mais ils n’étaient pas satisfaits. Je suis alors allé au Beerschot. Je m’entraînais deux fois par semaine avec l’équipe première et le reste du temps je m’entraînais avec la réserve et les jeunes. J’ai ensuite gagné ma place.

Tu arrives dans un championnat où, historiquement, beaucoup d’Africains ont débuté leur carrière en Europe. Pourtant, il y a peu encore peu de Kenyans, au contraire des Ivoiriens, Sénégalais ou Camerounais par exemple. Considères-tu avoir eu de la chance d’être repéré au Kenya?

Je ne dirais pas que je suis seulement chanceux. C’est vrai que j’ai eu une opportunité – une chance en quelque sorte –  mais j’ai beaucoup travaillé. Tout n’a pas été simple.

Comment se passe ta découverte du monde professionnel au Beerschot?

Ce n’est pas facile parce que tu dois prouver, t’ajuster. Ça prend un peu de temps. J’avais vu en Suède comment ça se passait, je savais qu’il fallait avoir l’état d’esprit adéquat pour s’imposer. Ça peut être compliqué, ça peut aller vite, il faut que tu t’adaptes le plus vite possible. Au final, je savais dans quel but je faisais tout ça.

Des gens t’ont aidé là-bas?

Il y avait un gars qui s’appelait Kurt Van Dooren, et il m’a beaucoup aidé. J’ai aussi eu des coachs comme Aimé Anthuenis et Glen De Boeck, qui m’ont beaucoup appris.

 

À l’époque, avais-tu repéré de bons joueurs dans ce championnat?

Beaucoup de très bons joueurs sont passés par la Belgique. Romelu Lukaku et Kevin De Bruyne jouaient en Belgique à ce moment-là. Il y avait aussi plusieurs bons joueurs au Berschoot, comme Khalilou Fadiga (international sénégalais passé notamment par l’Inter de Milan, Auxerre, ou le FC Bruges, NDLR) ou Bart Goor (78 sélections en équipe nationale belge, NDLR). Ça m’a fait du bien de me frotter à eux, car c’était des “top players”. Je me souviens aussi de Sherjill MacDonald (qui est ensuite passé par le Fire de Chicago, NDLR). Il y en avait d’autres… mais j’ai oublié leurs noms ! C’était il y a longtemps et les noms sont compliqués ! (Rires). J’ai beaucoup appris auprès d’eux.

« Tu veux penser à l’argent ou à ta carrière? Si tu penses à ta carrière, ne va pas là-bas »

Tu finis par te révéler là-bas, et les offres commencent à arriver. Comment gères-tu ça à l’époque?

J’ai eu plusieurs options, c’est vrai. Il y a eu Blackburn à un moment, mais mon club a refusé. Le président au Beerschot était un peu… bizarre. (Rires) Il disait toujours, “Non, ce garçon ne partira pas, à moins que ce soit pour le Barça ou le Real Madrid” !’ Je me disais “Mais il est fou, lui !” Je n’étais qu’un jeune joueur, ce n’était pas possible de parler de clubs de cette envergure. Un nouveau président a fini par arriver et il a reçu de très grosses offres pour moi, d’une équipe russe notamment. Il me semble que c’était le CSKA Moscou. On parlait de plusieurs millions d’euros pour le transfert. Il m’offrait aussi un contrat complètement dingue. J’étais jeune et les chiffres étaient énormes, complètement fous. Certains m’incitaient à y aller, mais j’ai pensé que ce n’était pas une bonne idée. J’avais un bon entourage et un bon agent. Il m’a dit « tu veux penser à l’argent ou à ta carrière? Si tu penses à ta carrière, ne va pas là-bas, car tu pourrais le regretter ». Quand le Celtic s’est présenté, ç’a été différent. Au Kenya, je regardais le derby de Glasgow, beaucoup de monde portait le maillot du Celtic. Ça n’a pas été simple, mais finalement, les deux clubs ont réussi à s’entendre pour que je parte là-bas.

Et une nouvelle fois, tu découvres un autre monde…

L’atmosphère lors de derby de Glasgow entre le Celtic et les Rangers était incroyable. Je n’avais jamais vu ça. Je pense que c’est la plus belle ambiance que j’ai connue. Il y a de très belles ambiances en Angleterre, mais au Celtic, c’est un autre niveau, surtout pour le derby et les soirées de Ligue des champions. C’était vraiment la folie.

 

Et la vie à Glasgow ?

Il faisait toujours froid ! (Rires) Je ne le savais pas, pas autant du moins ! Que ce soit l’été ou pas, j’avais toujours mon blouson !

Le football était-il différent ?

Oui, le football est différent. Les équipes le sont aussi. Tu as les Rangers, Aberdeen, Heart of Midlothian… Le jeu est dur. Tu dois contrôler le jeu et ce n’est pas facile, car il y a des coups, mais avec le temps, je me suis adapté et j’ai aimé jouer là-bas.

Tu portais le numéro 67 au Celtic. Il y avait une raison particulière?

Oui, bien sûr ! C’est l’année où le Celtic est devenu le premier club écossais à remporter la Ligue des champions. Quand je suis arrivé au Celtic, je connaissais bien l’histoire du club. J’avais des rêves et je voulais jouer la Ligue des champions, la gagner une fois dans ma carrière. Ce numéro me rappelait ce que j’avais à faire ! C’était aussi un hommage au club qui m’accueillait.

Comment se passe la découverte de la Coupe d’Europe?

On a joué la Ligue des champions et la Ligue Europa. Quand je suis arrivé, le Celtic n’avait pas gagné le championnat, il y avait donc de la pression, mais on avait un bon entraîneur, Neil Lennon, et une bonne équipe, très athlétique et qui avait envie de travailler. On s’est beaucoup battu et on a gagné le championnat à la fin de ma première année, ce qui nous a ouvert la porte de la Ligue des champions.

Tu t’es imprégné du “fighting spirit” écossais là-bas?

J’ai presque tout appris au Celtic. Tout le monde sait à quel point le club est grand. Quand tu joues dans un club comme le Celtic, tu dois tout donner sur le terrain. On aimait ça avec mes coéquipiers. On a eu de bons résultats. On était dans les seize dernières équipes en course en Ligue des champions, on a battu Barcelone en phase de groupe… C’était incroyable.

 

Tu peux m’en dire plus sur ces soirées contre Barcelone?

À ce moment-là, le FC Barcelone, c’était les meilleurs, de loin. La référence. Il y avait Xavi, Iniesta, Messi, Pique, Puyol, David Villa… C’est la meilleure équipe contre laquelle j’ai joué. On a d’abord joué là-bas, au Camp Nou. C’était compliqué, on a beaucoup défendu. À la mi-temps, on tient le match nul, 1-1, mais en deuxième mi-temps, on était lessivé. Notre coach nous motivait, mais on n’en pouvait plus. Comme il y avait match nul à la mi-temps, on pensait que le Barça allait vouloir nous marcher dessus en seconde période, donc on a joué dur, en privilégiant le contre. Ils ont finalement marqué à la dernière minute. On est quand même sorti du terrain la tête haute. On avait tout donné. Le coach nous a alors dit “Vous savez quoi? Vous avez tout donné, vous êtes des compétiteurs, et quand ils vont venir chez nous, on va gagner”’. On se demandait s’il était sérieux, mais on a très bien préparé le second match.

C’est-à-dire ?

Neil Lennon a vraiment été bon, il n’a rien laissé au hasard d’un point de vue tactique, dans la mise en place de l’équipe. Il savait comment on devait défendre… et on a gagné! Encore aujourd’hui, je me demande comment on a fait pour gagner ! On a eu 11% de possession ! 11% ! Le Barça a eu le ballon 89% du temps ! On a eu 5 tirs, alors qu’ils en ont eu 23 ! On a vite marqué et c’est moi qui ai inscrit le premier but, de la tête. On a ensuite doublé la mise à dix minutes de la fin. Barcelone a vraiment poussé… mon dieu… Une déferlante. Si on s’était mis à jouer, ils auraient égalisé, donc on a continué à défendre. Ils ont finalement marqué, mais nous avons gagné 2-1. C’était un combat, avec une grosse ambiance. Iniesta a d’ailleurs reconnu que le Celtic Park était l’un des endroits où c’était le plus difficile de jouer. C’est mon meilleur souvenir. On avait vraiment une équipe très soudée.

C’est au Celtic que tu t’es forgé l’idée de ce que devait être une équipe finalement ?

Exactement. On n’avait pas d’immenses vedettes, mais on savait ce qu’on devait faire, avec un très bon manager.

 

Quelle a été la différence entre le Celtic, qui joue toujours les premiers rôles en championnat d’Écosse et qui participe régulièrement aux Coupes d’Europe, et Southampton, ton club suivant, qui était plutôt un club moyen dans un très grand championnat ?

Ça n’a pas été simple de quitter le Celtic. C’est vrai que Southampton ne faisait pas partie des équipes au top dans la Premier League. Le club se battait pour ne pas être relégué, mais j’ai fait ce choix pour ma carrière, pour encore progresser. Mauricio Pochettino était le coach de Southampton à l’époque, et il m’a vraiment beaucoup apporté. Les joueurs et moi avons beaucoup appris à ses côtés. Il a changé notre façon de jouer et notre attitude. Il a fait en sorte de nous mettre dans la tête que nous n’étions pas une “petite équipe”. Nous abordions les matchs en nous disant que nous étions une équipe bien plus forte, qui pouvait être compétitive contre n’importe qui.

Pochettino avait bien réussi peu avant avec l’Espanyol Barcelone, mais il était encore un jeune entraîneur en 2013. As-tu perçu à l’époque qu’il pouvait arriver au niveau auquel on le connaît aujourd’hui ?

(Catégorique) Absolument. J’ai un exemple. J’étais en Allemagne, en stage de préparation avec le Celtic quand j’ai rejoint Southampton, qui préparait sa saison en Espagne. En atterrissant, je me suis dit que j’allais pouvoir rejoindre l’équipe et me reposer un peu pour bien commencer le lendemain, mais non, non, non ! (Rires). Je me suis entraîné tout de suite! Je suis arrivé à 5 ou 6h du soir, j’ai juste eu le temps de manger une bricole et d’enfiler mes vêtements. Je suis parti m’entraîner. Ça a duré 45 minutes, mais c’était difficile ! Le lendemain, pareil ! Il faisait chaud, mais on bossait dur, dur, dur ! J’ai compris que c’était comme ça qu’on allait gagner des matchs. Il a ensuite travaillé sur la façon de jouer. Il voulait jouer au football, en partant de l’arrière, être dans la construction. Ces éléments ont fait en sorte que la mentalité des joueurs a évolué. Quand on a commencé la saison, on était prêt, et on a bien joué. On a battu de grosses équipes. Pochettino a pris en main une équipe qui luttait contre la relégation pour la mener dans le top 8 anglais.

Les conditions étaient idéales, finalement, pour découvrir le championnat anglais…

La Premier League est un championnat très difficile. Je voulais avoir un impact immédiat, car beaucoup de joueurs arrivent en Premier League et rencontrent des difficultés, ce qui les poussent à s’en aller. Il a fallu s’entraîner fort pour jouer et rester en Angleterre, mais je l’ai fait. On a fait des résultats historiques pour Southampton et on a joué la Ligue Europa. Le travail a été fait.

 

Pochettino est parti pour Tottenham et a été remplacé par Ronald Koeman. Comme Pochettino et Neil Leinon, il avait été auparavant un joueur à vocation défensive. Cela t’a aidé pour ton rôle de milieu défensif?

Au-delà de cet aspect, ce sont surtout des entraîneurs qui ont un très haut “QI foot”. Ils comprennent parfaitement le jeu, dans son ensemble. Ils connaissent les besoins du football moderne. Dans une équipe, il faut savoir défendre, mais il faut tout aussi bien savoir marquer. Koeman est un “top manager”, comme Pochettino (Ronald Koeman est aujourd’hui sélectionneur des Pays-Bas, NDLR). On a continué à jouer un beau football et on s’est maintenu dans le top 8.

“Je n’ai jamais rien obtenu facilement. Mes parents ont dû se battre pour mettre de la nourriture sur la table ”

Comment est l’ambiance dans les stades anglais?

Il y a beaucoup de stades où c’est spécial de jouer. Le St-Mary’s Park à Southampton est spécial pour moi. C’était la maison ! Jouer à Old Traford ou à Liverpool est aussi particulier. Il y a beaucoup d’endroits magiques en Angleterre.

C’est à Southampton que tu as aussi connu ta première grosse blessure…

La blessure m’a mise de côté pour cinq mois, donc ç’a été compliqué, mais j’ai reçu beaucoup de soutien, du coach notamment, et je suis revenu plus fort. Revenir en forme a été agréable. C’est certain que le temps de la blessure n’est pas simple à aborder. Je suis un gars qui aime jouer. Il a fallu travailler pour revenir.

“Revenir plus fort”, c’est avant le résultat d’un travail mental ?

Oui, j’avais la volonté de repousser très loin cette blessure, j’avais le couteau entre les dents ! Je voulais être un vrai tueur sur le terrain pour mes coéquipiers. Mais dans ces circonstances, tu as aussi besoin d’être entouré, de recevoir des énergies positives.

 

Est-ce que cette force, tirée de cette blessure, t’a aidé pour la suite, pour t’imposer à Tottenham par exemple?

Non. Je sais d’où je viens. Je n’ai jamais rien obtenu facilement. Mes parents ont dû se battre pour mettre de la nourriture sur la table. Mon parcours, c’est Rocky. Moi aussi, j’ai eu à me battre pour obtenir ce que j’ai eu. Je remercie Dieu d’être qui je suis. Les blessures, ça te rend plus fort, mais ça ne change rien à ce que tu as vécu avant ou aux objectifs que tu te fixes. Tout n’a pas été simple à Tottenham, j’ai eu des blessures, mais j’ai aussi eu de bonnes périodes. J’ai bien commencé, j’ai joué, marqué des buts. Je pense qu’on avait la meilleure équipe de Premier League en 2016 et 2017, mais on n’a pas remporté de trophées… Encore maintenant, je me demande comment c’est possible… J’ai toujours des problèmes à expliquer pourquoi on n’a rien gagné… Dans le 11 partant, à chaque position, c’était la perfection. Ça me rend malheureux de ne rien avoir gagné avec une telle équipe.

Mais il y a beaucoup de compétition en Premier League, et beaucoup d’effectifs incroyables…

C’est vrai, mais Tottenham avait tout. Même sur le banc. Les remplaçants pouvaient remplacer n’importe qui sur le terrain… Il est difficile de faire ressortir un joueur plus qu’un autre. Non, définitivement, je ne comprends pas, mais, au moins, tu apprends le très très haut niveau et tu avances.

Quels sont les éléments qui font de Tottenham un club de très haut niveau ?

Tottenham a de l’argent à investir et l’organisation adéquate. Il y a la capacité de créer un bon mélange de joueurs talentueux.

Et un président, Daniel Levy, réputé dur en affaire !

C’est vrai qu’il est particulier ! (Rires) C’est une super personne, sympathique, il n’y a rien à redire là-dessus, mais dans les affaires… C’est un hommetough ! Dès qu’on rentre dans les affaires de football… Ouch ! Il a vraiment deux personnalités. Mais je le remercie encore pour l’opportunité.

 

Parmi les joueurs qui composent l’effectif de Tottenham, y-en-a-t-il un qui t’a vraiment marqué?

C’est difficile à dire. Il n’y a que des grands joueurs et, surtout, qui forment une équipe.

La notion d’équipe est quelque chose qui revient souvent chez toi. C’est d’ailleurs la première chose que tu as évoquée en arrivant à Montréal, dès les premiers mots de ta présentation…

J’essaye toujours de mettre l’équipe en premier. Il ne faut jamais oublier que le football est un sport collectif. Il est primordial de se battre tous ensemble. Ce ne doit jamais être “Je”, mais “Nous”’. Sans l’équipe, les individualités ne peuvent pas se révéler. Les joueurs de classe mondiale comme Messi ou Cristiano Ronaldo ont besoin d’avoir des défenseurs et des milieux de terrain derrière eux, pour les couvrir, pour récupérer les ballons, pour leur transmettre.

Tu as finalement décidé de faire le saut en MLS après Tottenham. Connais-tu vraiment cette ligue?

Oui, j’ai déjà vu des matchs. Il y a de la qualité. Il y a de jeunes et bons joueurs qui viennent en MLS. C’est la même chose pour les managers. Certains ont un beau futur et ils vont progresser ici.