PAR QUENTIN PARISIS

Révélation de l’année du côté de l’Impact de Montréal, Shamit Shome a mis deux ans à se tailler une place au sein du 11 montréalais, après deux saisons passées, au mieux, sur le banc. Peut-on parler d’un déclic ? C’est en réalité beaucoup plus que cela. Rencontre et explications.

C’est ta meilleure saison sous les couleurs montréalaises, mais, si on revient au tout début de la campagne, au stage de préparation en Floride par exemple, qu’attendais-tu de cette nouvelle saison, après deux ans où tu n’as pratiquement jamais joué ?

J’attendais beaucoup plus de moi pour cette saison. J’espérais faire bonne impression. Je ne pensais peut-être pas que ça irait aussi bien, mais je voulais absolument essayer de me pousser, de faire tous les efforts pour faire partie de cette équipe, du onze partant dans lequel il y avait beaucoup de qualité. Cela a finalement dépassé mes attentes.

 

Peut-on parler d’un déclic, d’un moment particulier qui expliquerait cette réussite ?

Je pense que c’est surtout le fruit d’un changement mental, psychologique. Pour différentes raisons, j’ai abordé la saison d’une façon différente par rapport aux saisons précédentes. Je me suis concentré sur moi. Avant, je me trouvais peut-être des excuses sur ma situation, sur les raisons pour lesquelles je ne jouais pas. Cette saison, je me suis dit ‘Peu importe ce qui arrive, ce qui ne va pas, je me concentre sur moi, je me pousse aussi loin que je peux’. Je pense que cette transformation dans mon approche, dans cette volonté de me concentrer sur moi, a été bénéfique.

 

Rémi Garde ou le staff ont-ils eu une influence là-dessus ?

Oui, je pense. Leurs méthodes m’ont influencé. Même si je ne jouais pas, la façon dont on s’entraînait, les exercices que l’on faisait m’ont aidé. Tout le travail que j’ai effectué ces trois dernières années et mon investissement m’aident aujourd’hui. En prenant en compte en plus ce changement mental, désormais je joue, mais ce que tu fais aujourd’hui t’aide aussi pour le futur, donc tout ce que j’ai pu apprendre ces trois dernières années m’aide vraiment beaucoup dans ma réussite actuelle.

 

Rémi Garde est ton deuxième coach. Le premier a été Mauro Biello, et c’est d’ailleurs lui qui t’a recruté…

Oui,  j’aime vraiment bien Mauro. C’est vraiment une très bonne personne. C’est un très bon coach également. Il est aujourd’hui l’entraîneur des U23 canadiens et le coach-assistant de l’équipe A, donc je suis toujours en contact avec lui et j’en suis content.

 

Qu’as-tu noté comme différences entre l’approche de Garde et celle de Biello ?

Ils ont deux styles différents. Mauro est sans doute un coach qui parle plus, qui est plus interactif. Rémi est un coach plus en retrait, il observe, il est comme une sorte de témoin, qui regarde ce qu’il se passe. C’est aussi une bonne chose, car il a une certaine distance de cette manière. C’est un autre style, une autre manière de faire, d’aborder les choses. Les deux ont des bons côtés. Pour moi, c’est très bénéfique d’avoir ces deux expériences.

« C’est ma dernière année de contrat. Je n’ai pas encore entamé les discussions avec leclub. On verra ce qu’il se passera pour les prochaines années, mais mon objectif est de rester ici »

 

Avant d’arriver à Montréal, tu as passé un an au FC Edmonton, en NASL à l’époque. Était-ce le meilleur tremplin pour toi vers la MLS ?

Ce que j’ai fait à Edmonton, aux côtés du coach Collin Miller et de Jeff Paulus, qui était assistant à l’époque, a été précieux pour franchir le palier, d’autant que j’ai beaucoup joué.

 

C’est à l’issue de cette saison à Edmonton que tu t’es présenté à la draft. Quel souvenir en as-tu ?

Pour moi, la draft est plutôt un mauvais souvenir. Pour être honnête, le plus mauvais c’est de ne pas avoir été repêché au premier tour. Le meilleur est évidemment d’avoir été repêché par Montréal.  J’étais nerveux, mais le fait d’avoir été pris par Montréal et en plus de rester au Canada, c’était beaucoup plus cool. Avec le recul, je suis très content d’avoir été repêché par Montréal, mais, en tant que tel, la draft a été un moment étrange. Tu ne sais pas si tu vas être pris, où tu vas aller.

 

Tu as pu aller à la draft via le programme Génération Adidas(*) et ce sont en général des contrats de 3 ou 4 ans qui sont ensuite accordés. Tu en es où désormais d’un point de vue contractuel avec l’Impact ?

C’est ma dernière année de contrat. Je n’ai pas encore entamé les discussions avec le club. On verra ce qu’il se passera pour les prochaines années, mais mon objectif est de rester ici. Les discussions viendront sans doute, mais je reste concentré sur mes performances sur le terrain. (**)

 

Parallèlement à ta carrière en MLS, tu as aussi une histoire assez longue avec l’équipe nationale, entamée avec les U18 et poursuivie dans les autres catégories de jeunes. Tu as d’ailleurs participé au Tournoi de Toulon en 2018, l’un des plus prestigieux du monde pour les U21…

Ça a été une magnifique expérience. Le sélectionneur des A, John Herdman, était avec nous pour nous guider et soutenir Mauro Biello. Il y avait de très grosses équipes. On a assez bien joué (***). Je pense d’ailleurs que ce tournoi  été un tournant pour ma carrière. Avant le tournoi, j’étais à Montréal, mais j’avais été prêté à Ottawa. Aller au Tournoi de Toulon a changé mes perspectives, j’en suis revenu avec une mentalité beaucoup plus robuste. Ce changement m’a aidé à progresser. Quand je suis revenu à Montréal, j’étais déterminé à montrer au coach que j’étais un joueur capable d’avoir un impact sur l’équipe. Ca m’a mis dans une bonne disposition pour la suite.

 

C’était ton premier contact avec John Herdman ?

Oui, c’était peu de temps après son passage de la sélection féminine vers la masculine. Il a été sympa, et c’est un coach pour lequel tu as envie de jouer. Pour moi, c’est un autre objectif d’atteindre la sélection nationale, particulièrement cette année. C’est une façon supplémentaire d’aller chercher de la motivation pour toujours mieux faire.

 

Tu as d’ailleurs déjà eu l’occasion d’être invité pour un camp d’entraînement avec l’équipe senior, sans pour autant voir été sélectionné officiellement. C’était en novembre dernier.

Oui, j’y suis allé comme « un joueur d’entraînement. » Même si je ne faisais pas partie de l’effectif officiel, le simple fait d’être là m’a donné beaucoup de motivation en vue de la pré-saison. Ce que j’ai réalisé là-bas, c’est que je pouvais être en compétition avec les gars qui étaient sélectionnés, mais la différence qu’il y avait entre nous, c’est qu’ils jouaient dans un effectif professionnel et pas moi. Ce que j’avais à faire, c’était de me battre, de faire les efforts nécessaires pour  avoir des minutes en pro. C’est ce que je fais cette année.

 

As-tu des contacts réguliers avec John Herdman depuis ?

Oui, il est assez impliqué. Il me contacte régulièrement pour m’expliquer la situation. Il y a un camp en septembre-octobre. J’espère y être. Si ce n’est pas le cas, je devrais continuer à travailler. C’est un gros objectif pour moi d’intégrer l’équipe nationale. Ma première sélection a été en U18 et ç’a été l’une des principales raisons pour lesquelles j’ai persévéré pour être joueur professionnel. Avant ça, je ne savais pas si je devais donner la priorité à l’école, aux études… Le fait d’avoir été appelé, c’était vraiment un signe que je pouvais considérer de manière sérieuse la possibilité d’être un joueur professionnel. Pour moi, l’équipe nationale, c’est à la fois un honneur et un objectif.

 

Le succès, « c’est juste parce que tu travailles bien et depuis longtemps »

 

Maintenant que tu es pro, comment envisages-tu tes prochaines années ?

J’espère toujours être en MLS, être meilleur, continuer à faire du mieux que je peux et connaître des succès. Pour moi, l’important, c’est de continuer mes efforts aussi loin que je puisse le faire, pour jouer au plus haut niveau. C’est un travail quotidien.

 

Le fait de devenir joueur professionnel ne t’a pas empêché de poursuivre tes études. Tu es d’ailleurs toujours à l’Université, à Concordia. Comment tu arrives à gérer ces deux pans de ta vie ?

Je devrais être diplômé l’année prochaine. C’est assez compliqué de trouver la balance entre les deux. Évidemment, à l’Impact, on joue beaucoup, on voyage. Il faut que j’arrive à m’organiser, mais voilà, c’est comme ça. La gestion de mon temps est la clé. Je sacrifie du temps sur mes loisirs ou avec mes amis, mais c’est important pour moi de terminer l’école. À 35 ou 36 ans, quand je serais en âge d’arrêter le soccer, j’aurais besoin de faire autre chose. Je viens aussi d’une famille qui accorde beaucoup d’importance à l’école. D’un autre côté, j’aime aussi avoir l’école. Ca fait du bien de pouvoir parfois décrocher du soccer et d’avoir d’autres choses à faire. Parfois, quand tu as mal joué ou que tu as connu un mauvais entraînement, tu y penses toute la journée et ça affecte ta confiance. Quand tu as l ‘école pour occuper le reste du temps, tu peux laisser ton esprit penser à autre chose et mettre le focus sur autre chose. Au final, c’est une bonne balance d’avoir les deux.

Tu gères d’ailleurs cette balance dans ta vie depuis plusieurs années, car tu es allé à l’Université d’Alberta, où tu jouais avec l’équipe des Golden Bears.

Oui, et quand je suis arrivé à Montréal, mes parents ont tout de suite regardé ce qu’il y avait de disponible pour que je poursuive mes études. Je suis content de pouvoir terminer ce que j’ai entrepris, excité même à l’idée de finir pour après n’avoir à mettre le focus que sur le soccer.

 

Tes parents viennent du Bangladesh, mais tu es né au Canada. As-tu malgré tout des relations avec ce pays ?

J’y suis allé deux, trois fois. C’est vraiment très différent du Canada, mais c’est un endroit que j’aime beaucoup. Je n’ai pas l’occasion d’y aller souvent à cause de mon emploi du temps chargé. Même si je n’y suis pas né, mes parents sont de là-bas et je me sens forcément proche de ce pays, de sa culture, de ses valeurs. C’est important pour moi d’un point de vue culturel et familial. J’essaye d’intégrer ces valeurs et celles de mes parents dans ma vie.

 

D’un point de vue sportif, là-bas, c’est plutôt le cricket. De ce fait, quand tu as grandi, c’était plutôt le soccer ou le cricket à la télé ?

(Rires) Il y avait parfois du cricket, oui. Mes parents n’ont jamais été des acharnés de sport, mais la Coupe du monde de cricket, ça pouvait être différent. Le soccer est aussi un sport important, donc il y en avait aussi. Par contre, comme ce ne sont pas des grands fans de sports, il n’y avait pas beaucoup de basket ou de hockey. Quand j’ai commencé à jouer au soccer, mes parents se sont plus impliqués dans le sport, ont démontré un plus grand intérêt.

 

Et que pensent-ils aujourd’hui de ta condition de joueur de MLS ?

Ils sont contents. Les premiers temps, ils ont été un peu inquiets, surtout en voyant que je ne jouais pas. Ils me demandaient si j’allais bien, si je n’étais pas triste ou déçu, mais maintenant que je joue, ils sont excités, vraiment contents. Mon père est même devenu un « big fan ». Il est venu au stade plusieurs fois et il a aimé. C’est une ambiance très différente de ce qu’on peut voir dans les autres sports. Ma mère aussi est venue pendant la coupure. Ils aiment Montréal car c’est différent d’Edmonton ou du reste du Canada. Ils me demandent quand même si tout va bien à l’école ! Ils veulent aussi que je reste focus là-dessus. Ils ne veulent pas que le succès me monte à la tête, mais aussi que je me rappelle quelles sont les clés du succès. Pour eux, ce n’est pas parce que tu joues que tu es spécial. C’est juste parce que tu travailles bien et depuis longtemps.

 

(*) Le programme Génération Adidas permet aux meilleurs joueurs des universités qui n’ont pas terminé leurs études ou ceux des équipes nationales de jeunes de se présenter à la draft.

 

(**) Selon les chiffres dévoilés par l’Association de joueurs de la MLS, Shamit Shome dispose en 2019 d’un contrat de 119 000$, bonis inclus.

 

(***) Le Canada, pour sa première participation, a terminé deuxième de son groupe derrière la Turquie mais devant le Japon et le Portugal, avec 5 points en trois matchs.