PAR QUENTIN PARISIS

Papa d’un petit garçon depuis le 28 août 2020, Samuel Piette a connu le grand bouleversement que représente l’arrivée d’un enfant dans une vie, en plus de devoir apprivoiser un nouveau poste sur le terrain dans sa vie professionnelle.

Samuel Piette est un homme bien occupé, dont le quotidien oscille entre des voyages dans diverses « bulles sanitaires » aux États-Unis, des déplacements lointains, des retours à Montréal avec des quarantaines obligatoires et un nouveau statut de père de famille qui l’oblige à trouver de nouvelles habitudes de vie.

 

Est-ce compliqué pour toi, émotionnellement, de ne pas avoir eu beaucoup l’occasion d’être longuement en famille?

Ce qui est difficile, c’est de laisser ma compagne seule à la maison, car s’occuper d’un enfant, c’est très exigeant. Se lever à 8h et se coucher à 22h, c’est un peu terminé. C’est souvent à elle de gérer le petit. D’un autre côté, je suis professionnel et je fais mon travail, mais ne pas être là pour lui donner un coup de main, c’est un peu difficile.

 

Le fait de se lever plusieurs fois la nuit, de devoir adapter son horaire à celui d’un nouveau-né, n’est-il pas compliqué avec les exigences de la vie de joueur professionnel, notamment au sujet du repos?

On a eu des matchs à Vancouver puis nous sommes arrivés dans le New Jersey pour la suite des matchs, donc je n’ai pas été forcément beaucoup dérangé pendant ces périodes de ce point de vue là. Par contre, lorsque nous sommes revenus de l’hôpital, avec ma compagne, nous avons rapidement trouvé une petite routine pour gérer ça au mieux. Elle est en congé maternité, ce qui n’est pas mon cas, et elle allaite, donc c’est sûr qu’elle fait le nécessaire la nuit. Je suis par contre plus présent la journée pour qu’elle se repose un peu. On s’est aussi mis d’accord sur le fait que, les veilles de matchs, on faisait chambre à part pour que je n’ai pas à me réveiller. C’est inévitable que des nuits vont être un peu plus courtes et que je sois un peu plus fatigué le lendemain, mais ce sera à moi de m’adapter, de faire la sieste. À trois, on ne peut plus seulement penser à soi.

 

Le fait que tu sois parti jeune de chez toi (14 ans) et que tu sois désormais père de famille remet-il en perspective ton propre parcours et la vision que tu as du sacrifice réalisé pour toi par tes parents?

Je ne vis pas encore ce que mes parents ont vécu quand je suis parti en Europe, mais c’est sûr que je me mets un peu plus facilement dans les chaussures de mon père. Je réalise différemment ce que mes parents ont fait pour moi… On fait tellement de choses pour le petit en ce moment qu’on se rend compte à quel point cela demande du temps et de l’attention. C’est sûr que ça te fait apprécier encore plus tes propres parents et ça m’a rapproché d’eux.

 

Outre ce changement de vie, tu as connu aussi une évolution en tant que joueur, en passant du poste de milieu défensif à celui de milieu relayeur. Quand et comment s’est passée cette transition?

Ça a commencé pendant le confinement, quand on a pu recommencer à s’entraîner en petit groupe puis en équipe, avant le tournoi MLS is Back à Orlando. On travaillait tactiquement et je voyais que le staff souhaitait tenter de nouvelles choses. À chaque entraînement, on essayait une formation différente. On m’a mis à ce poste un peu plus offensif, et Thierry Henry est venu me parler, en m’indiquant qu’il pensait que j’avais les qualités pour jouer à ce poste et que cela allait être positif pour l’équipe. J’ai réussi à grandir, à m’améliorer, à être plus à l’aise de match en match. J’arrive tranquillement à apprivoiser ce nouveau rôle, que j’aime bien. Ce n’est pas mon poste naturel – avec en plus la saison étrange que nous vivons, durant laquelle on joue, on s’arrête, on reprend, on doit reprendre le rythme – mais la multiplication des matchs m’a fait du bien pour trouver des repères.

 

Quels sont les repères que tu as dû trouver?

Les positions et la mentalité à adopter sont différentes. J’avais toujours la mentalité de jouer simple, de garder l’équipe en possession, car la perte de balle en position de milieu de milieu défensif est risquée. On m’a d’ailleurs souvent reproché de jouer vers l’arrière, mais on ne peut pas se permettre de perdre une balle à cet endroit du terrain, de prendre les risques que tu peux te permettre quand tu joues plus haut. Aujourd’hui, je prends ces risques. Mes courses sont différentes, dans le dos de la défense adverse par exemple. Avant, ce n’était pas envisageable, car mon rôle était de rester devant ma défense, afin d’être là en cas de perte de balle. Avec ce nouveau poste, je peux plus me projeter vers l’avant et j’ai moins de pression de perdre la balle, car il y a plus de monde derrière moi. Je n’irai pas jusqu’à dire “être créatif”, car ce n’est pas ma qualité première, mais au moins tenter plus de choses. C’est le plus gros changement.

 

Cette prise de risque est-elle grisante, amusante, ou au contraire c’est quelque chose que tu dois forcer un peu?

Un peu des deux. Je dois faire quelque chose que j’ai peu fait dans la vie et il y a la possibilité d’avoir moins de succès. D’un autre côté, quand tu es dans le dernier tiers offensif du terrain, c’est plus libre, c’est le temps de tenter des choses, de frapper, de dribbler, de centrer, de provoquer, de marquer. Désormais, ce discours s’applique aussi à moi, ce qui n’était pas le cas avant.

 

Qu’est ce que ce nouveau poste a changé dans ta façon de t’entraîner?

Comme dans le jeu, je dois faire plus de courses dans le dos, plus tenter de dernière passe, de centre. J’occupe plutôt le côté droit, et c’est Zachary Brault-Guillard qui joue arrière droit, donc on travaille à plus et mieux combiner. Quand il a la balle, je fais des courses dans le côté opposé, par exemple. Je travaille les centres au deuxième poteau, au centre, au sol, en une touche… Ce sont des choses que je ne faisais pas avant. Je travaille aussi les frappes, les enroulées, la puissance, mais aussi les différentes situations dans lesquelles je suis en position de frappe. Je dois m’efforcer de plus jouer vers l’avant, de trouver la dernière passe, même s’il est important de savoir reconnaître aussi les moments où il faut tempérer, garder le ballon.

 

Est-ce que Patrice Bernier, ancien milieu relayeur et maintenant entraîneur adjoint, a un apport particulier?

Tout le staff apporte son lot de conseils, mais c’est sûr que “mon Pat”, qui a connu une grande carrière à ce poste dans la MLS, à l’Impact, a peut-être des conseils plus appropriés pour cette ligue. J’ai une excellente relation avec lui, donc on a aussi toujours parler de tout et de rien. C’est aussi un poste où je me retrouve parfois le long des lignes de touche, et quand le ballon n’est pas de mon côté, il peut aussi me glisser un petit mot. C’est sûr que j’ai à apprendre de lui et qu’il est d’une grande aide.

 

Est-ce que parmi les joueurs certains t’apportent aussi des conseils sur ce nouveau rôle?

Personne ne vient vraiment me dire “à ce poste-ci tu dois faire ceci ou cela”. Saphir Taïder par exemple à son propre style de jeu, différent du mien, donc c’est à prendre en compte. Finalement, c’est un rôle que j’apprends à connaître par moi-même, en essayant, en faisant des erreurs, en discutant avec le staff.

 

Ton changement de poste est aussi le fruit de l’évolution de l’effectif, avec notamment l’arrivée de Victor Wanyama. As-tu eu des doutes sur ta place et sur ton rôle?

Honnêtement, oui. Quand Victor est arrivé, avec le statut de joueur désigné, qui évolue milieu défensif, je me suis demandé comment on allait jouer, comment nous allions être utilisés.Lors de son premier match, en Ligue des champions, le seul qu’il a joué avant le confinement, nous avions été à deux devant la défense. On avait très bien fait en première mi-temps, mais j’étais monté d’un cran lors de la seconde période, car nous étions menés. J’ai été surpris, car c’était la première fois que je montais ainsi. Ce n’est pas que je ne comprenais pas pourquoi, mais je me demandais simplement pourquoi on ne faisait pas un changement, étant donné que ce n’était pas mon poste. Finalement, le staff m’a donné de très bons retours, tout le monde était satisfait de ma performance. C’est là que le staff a déterminé qu’il y avait un potentiel pour moi à ce poste. Après, il y a eu le confinement, mais c’est au retour qu’on a commencé à travailler dans ce rôle. Je pense que le déclic s’est vraiment fait contre Olimpia au Stade olympique.

 

Ce nouveau positionnement t’a aussi permis d’ouvrir ton compteur de but en MLS…

C’était un sentiment agréable,de délivrance. Ça faisait très longtemps et je sais que les gens l’attendaient. Moi aussi je l’attendais. Voir la réaction de mes coéquipiers, des entraîneurs, celles des Québécois et des gens à la maison, ça m’a fait chaud au cœur. J’ai reçu beaucoup de messages, de la part d’entreprises et de personnalités québécoises aussi. J’ai vu à quel point ce but était important pour moi, mais aussi pour tous les Montréalais et les Québécois qui me suivent. Ç’a été un gros choc, dans le sens positif évidemment.

 

Vas-tu te fixer des objectifs statistiques avec ce nouveau poste, qui implique d’être plus décisif?

C’est dur pour moi d’en fixer. J’ai marqué mon premier but à mon 79e match avec l’Impact, mais c’est sûr que ça m’a donné le goût d’en mettre d’autres. C’est vrai que j’ai peut-être une petite responsabilité supplémentaire d’apporter offensivement, mais je ne me mets pas de pression. Contre New-England, j’ai participé à la construction du but de Lassi Lappalainen sans pour autant être considéré comme le passeur décisif, donc je ne veux pas me baser uniquement sur des chiffres. Je préfère avoir une vision globale de ce que j’apporte. Oui, bien sûr, je veux des stats, mais ce qui m’importe vraiment, c’est d’aider l’équipe à l’emporter. Si on gagne et qu’on obtient des résultats sans que je marque, ça me va très bien.

 

Tu as aussi joué arrière-droit lors d’un match au tournoi MLS is Back, où tu n’avais jamais joué avant. Que t’a-t-on dit avant ce match?

Il y avait des doutes au poste d’arrière droit, car je pense que Zachary Brault-Guillard était peut-être un peu juste physiquement au début du tournoi. On avait un peu testé ça à l’entraînement. À la perte de balle, je devais redescendre arrière-droit et je montais relayeur en phase offensive. Ça n’est pas resté trop longtemps, car Zach est revenu rapidement puis on a trouvé un autre schéma tactique qui nous a convenu. C’était un peu une surprise, mais j’avais quand même déjà un peu joué à ce poste, en équipe nationale U17 notamment, ou en Allemagne. Je ne pense pas que ce sera reconduit, mais, au final, je suis là pour jouer ou me demande l’entraîneur.

 

Est-ce que tu as eu l’occasion d’évoquer ton nouveau rôle avec le staff de l’équipe nationale?

Pas vraiment. J’en ai parlé rapidement avec l’entraîneur, John Herdman, mais c’était plus autour de mes performances. Il m’envoie souvent des messages quand j’ai fait un bon match ou après une belle victoire. Quand j’ai marqué, il m’a écrit puisqu’il était au stade et qu’il l’a vu, mais nous n’avons pas encore vraiment parlé de mon nouveau rôle. Je ne sais pas si je vais jouer relayeur ou retourner en défensif en équipe nationale. Ça reste à voir. On va sans doute en parler dans le futur.

 

Est-ce que tu vois ce poste comme un moyen de conforter ta place, car il y a quand même de la concurrence?

Ce n’est pas simple de jouer relayeur en équipe nationale et je me suis quand même bien installé en 6, en milieu défensif. Ça donne une autre option aux entraîneurs et ça me permet d’améliorer certains aspects de mon jeu, mais ça n’enlève rien à ce que je peux faire en 6. Je garde l’aspect agressif, gratteur de balles.

 

Dans l’effort de structuration du club, un directeur sportif passé par Mayence et Schalke 04, en Allemagne, Axel Schuster, a été nommé en novembre 2019, un an après votre arrivée. En général, c’est plutôt l’inverse et le directeur sportif nomme son entraîneur. Comment avez-vous appréhendé cette situation?

C’était particulier, car j’ai fait partie du processus de reconstruction, de sélection, avec des discussions avec les propriétaires. Normalement, ça n’arrive jamais. Cependant, quand je suis arrivé, j’avais aussi à faire un état des lieux du club. Nous n’avions pas de département de recrutement. Tout appartenait à l’entraîneur et il y avait des trous dans l’organigramme du club. On a ciblé les besoins, et j’ai indiqué clairement qu’il fallait un directeur sportif pour faire le lien entre le terrain et les bureaux, pour permettre à l’entraîneur de faire son travail sur le terrain, et pour mettre en place un département de recrutement, qui est une partie cruciale d’un club. Arrivé à la dernière étape, quand il a fallu choisir parmi trois candidats, j’ai fait partie du processus d’entrevue. C’était nouveau pour moi de choisir la personne qui était au-dessus de moi et avec laquelle j’allais travailler, mais j’ai toujours gardé à l’esprit de choisir ce qui était la meilleure solution pour le club.

Quelles ont été les mesures mises en place par la suite?

Nous avons des scouts sur certains projets, mais nous avons l’intention d’engager un responsable des scouts, pour aider à réaliser le meilleur recrutement possible. Axel Schuster avait entamé le processus d’entrevues, mais la pandémie a mis tout ça sur pause. La fermeture des frontières ne permettait plus d’aller voir des joueurs par exemple. On continue néanmoins de planifier tout ça.

 

Vous avez constitué un staff avec des personnes proches, comme Philipp, votre frère, ou Youssef Daha, un entraîneur de gardien que vous connaissiez bien. Est-ce que cette liberté était un prérequis à votre arrivée?

Il faut toujours s’appuyer sur des gens à qui tu fais confiance, dont tu sais ce qu’elles vont t’apporter, en termes d’éthique et de rythme de travail. Chaque adjoint à un rôle spécifique et il connait parfaitement son travail. Youssef Daha a travaillé avec moi à l’Attak de Trois-Rivières, à l’Impact de Montréal. Il a fait ses preuves et ses qualités lui ont permis de faire un travail exceptionnel. Gregg Sutton a été le meilleur gardien de la Ligue, Matt Jordan a été nommé gardien de l’année, Maxime Crépeau a été gardien de l’année en USL avec Ottawa, le meilleur Evan Bush à Montréal, selon moi, a été celui qui a travaillé avec Youssef Daha. Philipp n’est pas non plus avec moi parce qu’il est mon frère, mais parce qu’il est un des meilleurs dans son travail. Vanni Sartini allait aussi amener ses compétences de formateur au club, qui étaient nécessaires en raison de notre stratégie envers l’académie. On est tous différents, mais on aime travailler ensemble et chacun sait ce qu’il a à faire.

Vous êtes souvent présenté un motivateur hors pair, un meneur d’hommes. Êtes-vous satisfait de cette image ou préféreriez-vous que l’on mette en avant des caractéristiques tactiques ou techniques?

Je me moque de la façon dont on me perçoit et je m’inquiète peu de l’extérieur. Je donne mon maximum sur tous les points. Tu ne dois pas vivre avec la préoccupation de recevoir la validation des gens que tu ne connais pas, mais celle de tes joueurs, du club, de ta famille. Je ne suis jamais trop excité quand je gagne et tout en bas quand je ne gagne pas. J’ai gagné des trophées, mais je connais aussi les mauvais résultats. J’encourage tout le monde dans la vie à ne pas se préoccuper des likes et des avis ou de la façon dont on te voit.

Que peut-on vous souhaiter pour cette saison?

On doit se souhaiter la stabilité dans le monde, car on ne sait rien de ce qu’il va se passer. Il y a beaucoup de doutes. On se souhaite que les choses reviennent à la normale, dans le foot et dans le monde.