PAR QUENTIN PARISIS

Bacary Sagna, aux premiers abords, est un homme de peu de mots. Il faut dire qu’il a connu les outrances et les excès de la presse britannique pendant près d’une décennie, alors qu’il jouait pour Arsenal et Manchester City.  D’une discussion qui se devait donc d’être rapide, voire expéditive, il en est finalement sorti une heure de discussion passionnante autour de l’Impact de Montréal, de la MLS, mais aussi d’Auxerre, de Guardiola, de l’exigence et de l’humilité que requiert le très haut niveau. Une parole rare qui s’avère finalement être d’or.

L’Impact de Montréal profite de la pause internationale pour peaufiner son nouveau plan de jeu avec Wilmer Cabrera et panser les maux de tête des joueurs, qui sortent d’une déroute à domicile contre le DC United et plus globalement d’un mois d’août où tout est parti dans tous les sens au club.

 

Comment as-tu vécu ses dernières semaines ?

C’est difficile parce qu’on perd et qu’on est dans une spirale négative. On passe des moments difficiles et il faut s’en relever. Ce n’est jamais agréable de voir autant de changements en peu de temps et les principaux fautifs sont les joueurs. On ne changera pas le passé, mais on travaille comme il faut pour repartir du bon pied.

 

Outre le départ de Rémi Garde, les nombreux autres changements comme le départ de Nick De Santis ou les arrivées et départs au mercato, ont-ils eu une influence ?

Non. Il ne faut pas tout mélanger ni trouver d’excuses. C’est la vie d’un club et ça se passe comme ça à chaque mercato. C’est à nous, les joueurs, de faire ce qu’il faut pour se concentrer. On a mal géré certains matchs, alors qu’il y avait des possibilités de gagner ou de prendre un point.

 

Est-ce que tu t’attendais au renvoi de Rémi Garde ?

Pas du tout. Ç’a été un choc. Pour moi, j’associais l’Impact à Rémi Garde. C’est lui qui m’a fait venir. J’aimais sa communication avec moi, mais il sait, en tant que coach, qu’il faut être parfois amené à faire ses valises. Malheureusement, c’est arrivé tôt dans la saison. Ça doit être dur pour lui et j’espère qu’il relève la tête.

 

As-tu vu certains joueurs avoir des problèmes avec Rémi Garde?

(Convaincu) Non, je n’ai pas senti de tensions. Maintenant, le club a décidé de se séparer du coach et il faut respecter les choix. Ce n’est jamais plaisant de voir qu’un coach est limogé, car c’est une question de résultats, et ces résultats, ce sont les joueurs qui les obtiennent.

 

« Il est bon d’associer des anciens joueurs parce qu’ils ont l’identité du club »

 

 

Qu’apporte le nouveau coach, Wilmer Cabrera ?

Il veut mettre plus d’intensité et prendre plus de risques dans l’animation, dans les courses, dans les frappes. Inconsciemment, on était peut-être trop réservé, trop timoré, on en faisait pas assez. Ce n’est jamais facile d’arriver dans une équipe qui a une spirale négative. Ce n’était déjà pas facile pour Rémi Garde. La MLS est difficile, avec en plus huit matchs à l’extérieur pour commencer. On était dans une position favorable, mais on a simplement mal géré les matchs. Contre Dallas, on gagne 3-0 et on s’endort. À Chicago, on prend un but dans les dernières minutes. Il y a eu trop d’enchaînements de mauvaise gestion des matchs de la part des joueurs. Le nouveau coach essaye de nous redonner de la confiance.

 

Patrice Bernier était joueur il y a encore 18 mois et il est maintenant dans le staff. Est-ce que son profil proche de la mentalité des joueurs était un chaînon manquant ?

C’est important de garder l’identité du club. Patrice a grandi ici et connaît le club parfaitement. Dans n’importe quel club, il est bon d’associer des anciens joueurs parce qu’ils ont l’identité du club. C’est la meilleure manière de transmettre aux plus jeunes.

 

Ça tord un peu le cou à ceux qui estiment qu’il y a trop d’anciens qui gravitent autour du club…

Quand on ramène quelqu’un de l’extérieur, il y a un temps d’adaptation, et dans le foot, on n’a pas ce temps-là. Ça peut prendre des mois. Pourquoi toujours vouloir ramener du sang neuf ? Si ça arrive, très bien, la personne va s’adapter et s’intégrer, car c’est la caractéristique du club d’accepter tout le monde et de donner le sentiment d’une grande famille, mais s’il y a des gens compétents au club, il n’y a pas de raison de ne pas leur donner leur chance.

 

Il y a aussi des jeunes qui progressent et parmi eux Zachary Brault-Guillard, qui joue à ton poste. Sur quels aspects a-t-il le plus progressé pour toi ?

Il a énormément progressé dans son placement défensif. Il avait une tendance un peu trop offensive. C’est normal en tant que latéral d’apporter offensivement, mais notre première qualité c’est de défendre, de fermer notre côté. Il a pris conscience qu’il devait être solide défensivement. Son placement et son anticipation du jeu sont meilleurs.

Quel joueur t’a aidé, inspiré, au début de ta carrière ?

Johan Radet à Auxerre. Pendant un an, au début de ma carrière, j’ai voyagé avec le groupe, mais je ne suis jamais rentré. J’ai pris ce temps pour observer ses mouvements, ses interventions. C’était le meilleur latéral droit de Ligue 1, nommé par ses pairs. J’ai débuté parce qu’il s’est blessé sinon je ne pense pas que j’aurais pris sa place. Il était solide, assidu, il travaillait à l’entraînement, toujours à 100%, c’était un exemple, mon exemple.

 

Aujourd’hui, dans le foot mondial, qui est l’exemple à ton poste ?

Kyle Walker. Au début, comme pour Zachary, il était très rapide, puissant, offensif, mais il avait des errances. Il lui arrivait d’être hors position pendant un match. Il compensait sa petite erreur par sa vitesse, mais maintenant il a tout. Son placement, son anticipation et il va vite.

 

Comme lui, tu as joué à Manchester City, mais aussi à Arsenal. Quels sont les éléments qui font d’eux des « grands clubs » ?

 Le sérieux à l’entraînement, la manière de travailler, la qualité technique qu’on doit avoir chaque jour. C’est l’exigence quotidienne. L’identité d’un club, tu la prends naturellement. C’est là que le Barça est fort. Des débutants à l’équipe pro, tout le monde joue de la même manière. Un débutant qui va être amené en réserve puis vers les A, il va savoir d’entrée quoi faire.

 

Est-ce qu’il y a certains éléments de ces académies que tu retrouves à l’académie de l’Impact ?

On a une bonne académie. Je vois que les entraîneurs sont exigeants. L’exigence, c’est la base. Il ne faut pas que les jeunes le prennent personnellement. Quand on s’entraîne, on ne peut pas se permettre de ne pas être concentré. Après, ce qu’il se passe en dehors, c’est la préparation de chacun, mais ici, aux entraînements de l’académie, il y a un sérieux qui est palpable. Quand les jeunes viennent s’entraîner parfois avec nous, il n’y a pas tellement de différence, ils sont à leur place.

 

Tu as été à Auxerre, où la formation est très reconnue. C’était comme tu viens de le décrire ?

Auxerre, c’était une usine ! Il y avait tellement de bons joueurs… C’était la guerre tous les jours, il n’y avait que des joueurs performants. Quand tu te faisais ta place, l’objectif n’était pas de penser à aller plus haut, c’était de garder ta place. La réserve, c’était les remplaçants des pros. Ça veut dire qu’il y avait onze pros confirmés en réserve, et pour les jeunes du centre, il n’y avait qu’une ou deux places. Il fallait se battre.

 

Tu étais attaquant à l’époque…

Oui, jusque 19 ans. Pendant un match de l’équipe réserve, le coach m’avait fait jouer dans le couloir droit, mais le latéral gauche s’est blessé, donc le latéral droit est passé à gauche et moi je suis descendu d’un cran. Il devait rester 30 minutes, alors je l’ai joué à la fierté! Il n’était pas question que l’attaquant me dribble ou me déborde! J’étais un peu perdu défensivement, mais j’ai essayé de m’aligner et l’attaquant n’est pas passé une fois. Mon coach était impressionné. Dans la semaine qui a suivi, j’ai refait un match latéral parce qu’il n’y avait personne de disponible et que le club testait un joueur à mon poste. J’ai fini la saison latéral et j’ai enchaîné. C’est le destin.

 

Après les très hautes sphères, tu as connu le bas de tableau en Italie. Tu as pourtant souvent répété que ça avait été incroyable. Qu’y a-t-il eu d’incroyable là-bas ?

C’était du foot ! On jouait de façon exceptionnelle, mais on perdait sur des coups de pieds arrêtés, ce genre de trucs. À San Siro, on a battu Milan avec 66% de possession de balle. Il a fallu trouver une osmose, un coach est arrivé en hiver, moi je suis arrivé fin février, il a fallu que je me remette dedans, mais c’était exceptionnel. En Angleterre, c’est toujours flashy, les gens viennent toujours vers toi, il y a des paparazzis… Je suis allé là-bas, les gens savaient qui j’étais, mais c’était bon enfant. C’était un petit village, j’avais ma vie tranquille, il y avait un grand contraste, et c’était du foot ! Du foot pour du foot ! C’était un petit terrain d’entraînement sur une montagne … J’avais l’impression d’être en CFA , mais humainement c’était incroyable (La CFA est l’ancienne division des équipes réserves en France, NDLR).

 

Tu es arrivé après en MLS, qui a encore en Europe la réputation d’être une ligue de seconde zone, de joueurs en préretraite. Qu’est ce qu’il manque à la Ligue pour briser cette image ?

C’est plus du côté des équipes qu’il faut regarder. Il manque de la constance. Ici, une équipe peut gagner 4-0 et perdre 5-0 la semaine suivante. En Europe, tu ne verras jamais ça. C’est dans la régularité que chaque équipe doit travailler. Dans la ligue, le LAFC a trouvé sa régularité. Minnesota a aussi  des résultats toujours corrects, jamais très hauts jamais très bas. Ce sont les exemples à suivre pour la régularité. Ce n’est pas toujours la meilleure équipe qui sera en haut, c’est la plus régulière.

 

« Je me sens bien physiquement. Je me sens jeune ! Je ne me sens pas  du tout arrêter en fin de saison »

 

 

Est-ce qu’il y a des joueurs qui t’ont bluffé en MLS ?

Josef Martinez. Tous les ans, c’est but sur but. Il n’a jamais de creux. Il y a aussi Carlos Vela. On était ensemble à Arsenal et je ne suis pas surpris, mais quand même… Il met un ou deux buts par matchs, ce n’est pas facile du tout.  Et puis il y a Zlatan. À son âge, c’est une machine. Il a la rage de vaincre. C’est l’ADN qu’on doit prendre dans la MLS. Les équipes au top, comme Liverpool ou City, elles ne sont jamais satisfaites du match nul.

 

Et les ambiances en MLS ?

C’est de belles ambiances. J’aime bien, c’est un show. Les gens sont contents, ils viennent en famille, ils mettent leurs maillots, ils prennent le temps de s’intéresser au foot et jouent le jeu. C’est festif, il n’y a pas de violence.

 

Justement la violence dans les stades fait beaucoup parler. Romelu Lukaku a été victime de chants racistes il y a peu en Italie. Est-ce que tu as vécu ça ?

Oui, ça m’est arrivé. En Serbie avec Auxerre. Il y a eu des cris de singes, mais ça m’a fait rire. On leur donne trop d’importance. Des cris de singe…C’est des enfants ! Laisse les 10 minutes et ils vont arrêter. Si à chaque fois tu arrêtes le match, ils vont se sentir importants, avoir l’impression d’avoir du poids. En Italie, je n’ai pas connu ça, les gens étaient plutôt contents de me voir.

 

Est-ce que tu as toujours la flamme, l’envie de continuer à jouer ?

Oui, je me sens bien physiquement. Je me sens jeune ! Je ne me sens pas du tout arrêter en fin de saison. (Catégorique)

Tu n’as pas encore discuté avec le club ?

Non, pas encore (Rires).

 

Et tu veux rester dans le foot après ?

J’ai fait ça toute ma vie !  Avant, être coach, c’était définitivement non, mais plus maintenant. Quand j’ai fréquenté Guardiola, ça a changé. Sa passion, la place que prend le foot dans sa vie, malgré son palmarès, l’argent… le foot c’est sa vie et il ne laisse rien passer. À l’entraînement, quand on faisait un schéma tactique qui partait du gardien et qu’il y avait une mauvaise passe, on recommençait tout. Une fois, il nous a même fait rentrer aux vestiaires. On n’était pas dedans, il a tout arrêté. Fini. Si je n’avais pas joué au foot, j’aurais voulu être architecte, pour voir le fruit de ce que tu fais. Être coach, c’est pareil.C’est beau de voir une équipe qui s’entraîne et qui reproduit la même chose en match. Tactiquement, quand tu regardes City, ils prennent le temps de jouer, ils ne vont jamais vite. S’il faut passer par le gardien, ils passent par le gardien. Le défenseur central ne passera pas la balle au latéral s’il y a l’ailier dans les parages. Ils vont toujours jouer pour être en supériorité numérique dans l’axe, avant de commencer à sortir. De façon naturelle, tu ne penses pas à jouer comme ça. Tu joues parce qu’il faut jouer, parce que tu vois le latéral à 5 mètres et tu lui passes, mais il se retrouve sous pression de l’ailier, ce n’est pas bon. Souvent, sur une phase de relance, tu as deux défenseurs centraux plus le milieu défensif, contre un attaquant et le milieu offensif, alors, avant de vouloir avancer, tu dois jouer ce 3 contre 2. À 3 contre 2, tu vas passer.

 

Tu as eu plusieurs types d’entraîneurs, comme Guy Roux à Auxerre.

Guy Roux, c’était à l’ancienne ! Les exercices techniques, c’était un ballon pour deux et des passes, ou le ballon dans les mains et exercices de volée. C’était les bases, tout le temps. Il voulait qu’on maîtrise ces standards avant de jouer, mais il était pertinent dans le choix des joueurs. Il savait que Djibril Cissé allait assurer devant ou que Philippe Méxès allait tenir derrière. C’était très familial comme ambiance.

 

Tous les joueurs que tu cites ont fait de belles carrières, toi y compris.

Je n’avais pas plus de qualités qu’un autre, mais j’ai écouté. J’ai reproduit ce que j’apprenais à l’entraînement. À chaque fois que j’ai été amené à un autre niveau, je voulais m’adapter, avant même de penser à aller au-dessus. Il fallait confirmer avant de prétendre aller plus haut. Quand je suis arrivé en pro, au début, je savais que je n’allais pas rentrer, mais c’était enrichissant. Quand tu es jeune, il faut être patient. Ce n’est pas parce que tu fais un bon match que tu vas jouer le match d’après. Tu peux être bon, mais ne pas entrer dans le schéma tactique. C’est la demande du jeu qui va faire que tu joues ou pas, ce n’est pas ta performance. Si tu n’es pas bon, tu ne joues pas et c’est de ta faute, mais si tu es bon et que tu ne joues pas, il ne faut pas le prendre mal. C’est le jeu qui est comme ça. Si tu es bon, tu finiras par jouer.